Vous êtes les bourgeons qui habillent les branches. Vous êtes les ruisseaux qui claquent dans les vallées. Vous ne faites qu’un avec la forêt, avec cet arbre solide qui veille, toutes feuilles aux aguets. Vous êtes ce brin d’herbe qui a résisté à l’hiver… Vous ne le saviez pas? Alors les druides vous le diront, si vous prenez le temps de leur parler.
Justement, moi, j’ai voulu les interroger. À l’aube du 25 janvier, j’ai pris le train pour Bôle, prête à vivre mon premier cours de druidisme. Car oui, il y a des druides en Suisse. Avides de partager leur savoir, ils et elles proposent des cours aux personnes que leur univers inspire. Et si vous aimez «Le Seigneur des Anneaux», le concept risque de vous parler! À peine sortie du wagon, un peu nerveuse, je me demandais effectivement si j’allais croiser des elfes dans cette campagne neuchâteloise en pleine hibernation, encadrée par des falaises. Hélas, aucun cousin de Legolas n’a émergé des buissons, mais je suis quand même ravie d’affirmer qu’un arc-en-ciel s’est déployé au-dessus de ma tête, comme un signe encourageant.
D’un pas vif, j’ai rejoint l’école druidique Eoriañ («ancrer» en breton), fondée il y a 15 ans par la druidesse, herboriste et autrice romande Joëlle Chautems. Les curieux, les hypersensibles et les apprentis druides (surnommés les «marcassins») s’y rejoignent pour acquérir des connaissances en herboristerie, sylvothérapie, géobiologie et lecture de runes, tout en développant une connexion profonde à la nature. Pendant ces 4 jours, j’ai pu entrevoir un fragment de leur cursus, parler aux arbres (qui m’ont répondu), penser le temps différemment et proposer des offrandes aux esprits de la nature. C’était un voyage unique. Suivez-moi, je vous emmène.
Au moment de déposer mes affaires dans mon casier, je ne sais absolument pas ce qui m’attend. En compagnie de six autres élèves, toutes des femmes d’âges et d’horizons différents, je m’installe sur un tapis de yoga, alors que trois chats ronronnants papillonnent de l’une à l’autre. Chacune se présente et explique la raison de sa venue. Certaines veulent trouver un sens à leur vie ou mieux se connaître, d’autres cherchent à renforcer leur lien à la nature. D’emblée, les récits de leurs parcours bouleversants font jaillir des larmes dans le cercle: «Nous sommes désormais un clan, rassure Joëlle Chautems. Nous prendrons soin les unes des autres.»
Celle qu’on surnomme «Hadana» (son nom de druidesse) a reçu ce titre après 18 longues années d’études solitaires, additionnées à deux ans d’instruction dans une école: «J’ai rencontré un druide sur le tard, qui m’a proposé de valider mon parcours, raconte-t-elle. Quand il m’a annoncé qu’il voulait me nommer druidesse, j’ai ressenti un coup de fouet énergétique, j’ai fait un pas en arrière et j’ai pleuré.»
À ce moment-là, j’avoue que le terme «druide» m’évoque encore, de façon très clichée, la grâce de Galadriel et la sagesse de Panoramix, avec un zeste de malice façon Totoro. Or, concrètement, ce titre implique surtout une mission: celle d’amener la paix et de prendre soin de sa communauté, grâce à un panel d’outils consacrés au rôle de guérisseur, de médiateur ou de magicien. Le terme «druidisme», quant à lui, définit simplement la pratique philosophique et spirituelle de la tradition celtique, perdue au travers des siècles: «Il m’est très important, via les cours d’Eoriañ, de redonner une place à la spiritualité de notre terre, commente Joëlle. On a tendance à reléguer la tradition celtique à la Bretagne, l’Angleterre ou l’Irlande, mais la Suisse possède aussi un riche berceau spirituel. Je dédie ma vie à la redécouverte, l’étude et à la transmission de cette culture.»
En tailleur sur mon tapis, je gribouille avec frénésie toute l’histoire du druidisme. Pour résumer mes six pages de notes, disons que les Celtes, fiers et intrépides guerriers, se sont mélangés aux Helvètes (tout aussi redoutables, robustes et trapus) dès leur arrivée au centre de l’Europe, créant une fusion de pratiques et de mythes. L’ombre des leprechauns, gnomes, licornes et elfes a donc traversé la terre suisse, alors que le Mont Vully (FR), centre énergétique important, est considéré comme une capitale du druidisme. Pendant le cours, Joëlle nous détaille le rôle des trois principaux types de druides et leurs vocations, que vous avez découvert ci-dessus.
Si vous recherchez une playlist de musique druidique sur Spotify, vous tomberez probablement sur un symbole composé de 3 points, 3 lignes et 3 cercles. Il s’agit de l’Awen, une force essentielle, une nourriture spirituelle pour le druide que décrivent de nombreux contes. Lorsqu’ils chantent «Awen» en chœur (comme les yogis clament «Ooommm»), ils se connectent à l’univers et se recentrent sur eux-mêmes.
Les cours théoriques sont ponctués de petites balades en compagnie de trois chèvres vivaces, qui mettent un point d’honneur à marcher en tête de file. «Attention à vos vêtements, elles aiment les mâchouiller», prévient Joëlle. Alors que nous passons sous un immense chêne, la directrice révèle que cet arbre, ainsi que le gui et les glands qu’il enfante, sont sacrés, puisqu’ils symbolisent la connaissance et l’indépendance. Si vous croisez un druide ou une druidesse, peut-être remarquerez-vous qu’il ou elle porte autour du cou un pendentif en forme de gland. Autre indispensable du kit-Gandalf: un bâton en bois de houx, qui symbolise le lien avec les autres mondes.
«C’est le Nouvel-An des arbres aujourd’hui, claironne Joëlle Chautems, lorsque nous avons pris place sur le sol, au pied du chêne. Dans le druidisme, on dit que la sève endormie par l’hiver commence à remonter dans les branches pour réveiller le printemps.»
En effet, le calendrier et les horaires du druide se distinguent sensiblement des nôtres: l’année druidique est représentée par un rond («puisque le temps linéaire n’existe pas») et rythmée par différentes fêtes, au fil des cycles lunaires et solaires: «Si on se coupe trop des cycles naturels et des saisons qui nous traversent, on peut se rendre malade, déplore Joëlle. Se forcer à lutter contre ces rythmes instinctifs demande beaucoup de ressources.»
Alors, afin de s’adapter aux mouvements de la nature et aux sensations physiques de chaque période de l’année, les druides dansent, rient, observent et écoutent, dans le sillage des saisons qu’ils analysent à leur façon. Joëlle résume ainsi les temps forts de l’année avec, bien souvent, un accent sur la célébration. En d’autres termes, les druides sont un peu fêtards.